Le 26 janvier 2025, l'action de Nvidia, principal constructeur des puces graphiques, a plongé de 17 %, entraînant une perte de valeur de près de 600 milliards de dollars. Arrêtons-nous un instant sur ce chiffre colossal : 600 milliards. Certains diront qu'il s'agit d'argent virtuel, une richesse abstraite. D'autres rétorqueront que, virtuel ou non, cet argent peut tout de même servir à acheter des biens physiques, investir, emprunter et acquérir d'autres entreprises, contribuant ainsi à l'accumulation des fortunes.
Mais cet effondrement temporaire révèle une réalité troublante : les marchés financiers naviguent souvent à l'aveugle. Des sommes astronomiques sont injectées dans des entreprises, non pas sur la base de revenus réels, mais sur la promesse d'une révolution technologique encore incertaine. C'est précisément cette fragilité que l'émergence soudaine d'une alternative open source venue de Chine a exposée. En quelques jours, le cours d'un géant solidement ancré dans un quasi-monopole du hardware a vacillé.
Aujourd'hui, les États-Unis dominent encore quatre domaines stratégiques de l'IA :
- Propriété intellectuelle : des modèles comme GPT-4 d'OpenAI et Gemini de Google, véritables moteurs de l'intelligence artificielle moderne.
- Accès aux données : des ensembles de données colossaux et exclusifs, cruciaux pour entraîner des modèles complexes.
- Talents mondiaux : les meilleurs ingénieurs et chercheurs affluent vers la Silicon Valley, attirés par des salaires et des opportunités inégalés.
- Puissance de calcul : les GPU, indispensables à l'entraînement des modèles IA, restent majoritairement produits par des entreprises américaines comme Nvidia.
Une véritable révolution est venue de Chine. DeepSeek, une entreprise financée par des fonds spéculatifs, a bouleversé le secteur en développant un modèle d'IA avancé pour seulement 6 millions de dollars – environ 1 % du coût des modèles américains équivalents. Cette prouesse repose sur une méthode innovante : la distillation des connaissances. Plutôt que de réinventer la roue, DeepSeek a entraîné son modèle à imiter le comportement des plus performants, comme GPT, en analysant leurs réponses. En rendant ensuite leur modèle open source, ils ont envoyé un signal fort : les restrictions américaines sur les puces de calcul ne suffiront pas à freiner l'expansion de l'IA en Chine.
Le 13 janvier 2025, les États-Unis ont réagi en durcissant leur position. Ils ont annoncé une nouvelle catégorisation des pays limitant l'accès aux technologies de calcul avancé selon la nationalité. Nvidia, directement concernée, a critiqué ces mesures comme mal avisées, révélant une inquiétude grandissante face à la montée en puissance de la Chine dans ce domaine.
Du point de vue matériel, des entreprises comme Huawei et SMIC réduisent progressivement l'écart technologique, produisant des puces de plus en plus compétitives. Les efforts pour freiner cette progression risquent de se heurter à l'inventivité des acteurs chinois, qui profitent d'une approche plus ouverte et collaborative.
La situation actuelle du marché de l'IA présente tous les signes d'une bulle spéculative. Les valorisations vertigineuses des entreprises d'IA, couplées à des investissements massifs dans des technologies à la rentabilité encore incertaine, suggèrent qu'un ajustement est inévitable. Dans ce contexte, l'Europe pourrait tirer parti d'une approche différente. Sa tradition d'innovation responsable et sa forte culture de partage des connaissances pourraient lui permettre de combler son retard sans avoir à investir des sommes astronomiques.
Alors, la question reste ouverte : face à la montée en puissance de la Chine et à la suprématie actuelle des États-Unis, l'Europe peut-elle trouver sa place en misant sur l'open source et la collaboration ?
Réalisation : Walter BONOMO pour monstudio.tv